Qui sont Ibn Al Jazzar et Constantin l’Africain ?

 Par : Dr. Ahmed Ben Miled,  mars 1987


Après une brève introduction de la médecine Arabe des IXème et Xème siècles, l'auteur reprend les plus grandes réalisations du médecin tunisien Ibn Al Jazzar et explique comment ses livres ont été traduit au latin à l'abbaye de Monte Cassino près de Naples puis distribués dans toute l'Europe 


HISTOIRE DE LA MEDECINE ARABE

L'histoire de la médecine arabe a pris un regain d'actualité en Europe et particulièrement dans le monde arabe. Des manifestations culturelles ont été organisées en de nombreux pays pour commémorer le millénaire de la naissance d'Ali Ibn Sina ou Avicenne. La médecine arabe comme la langue arabe elle-même est une entité vivante, stimulée par l'extension des conquêtes, la prospérité économique et culturelle; elle avait fleuri pendant les premiers siècles de l'Hégire. C'était une lumière qui apparaissait à l’orient, qui devait être absorbé par une autre plus puissante, qui apparaissait à l’occident, entretenue par l'apport des sciences expérimentales.

Ysaac en controverse avec Constantin et Ali Ibn Abbès


Ses détracteurs l'avaient dénigré, voulant prouver qu'elle n'était que le reflet de la médecine grecque, dont elle avait emprunté les éléments ; mais celle-ci n'avait-elle pas emprunté les siens aux égyptiens, aux hindous et peut être même aux chinois ? 

Le nouvel apport de la médecine arabe est considérable. De symptômes épars et de sentences sous forme d'aphorismes, les médecins arabes les avaient classé en syndromes, en chapitres et en avaient fait des traités cohérents. Grâce aux hôpitaux qu'ils avaient créés et qui leur avaient permis de poursuive l'examen des malades, ils avaient enrichi la symptomatologie et posé des diagnostics. C'était la méthode clinique proprement dite, chère à l'Ecole française qui garde encore ses lettres de créance, malgré l'apport de la physique, de la chimie et des rayons X. 

C'est cette méthode qui a permis à Razès [1] de séparer la rougeole de la variole, alors que les deux maladies étaient confondues sous l'appellation de variole. Les arabes ont également enrichi la médecine par l'enseignement de l'Hygiène. Il est rare qu'un traité de médecine n'en renferme pas un ou plusieurs chapitres. Il y a aussi des livres entièrement consacrés à l'Hygiène.

On a soutenu que la médecine arabe a puisé ses éléments dans la médecine grecque. Cela est vrai ; une science ou une civilisation ne naissent pas du néant. La médecine arabe n'était pas l'œuvre des arabes seulement ; c'est une œuvre collective de persans, d'andalous, d'arabes, d'Ifriqīyens, etc. Elle n'est pas sacerdotale. Comme toutes les sciences, elle est laïque. Ce qui a uni tous ses auteurs, c'est la langue arabe.

Certains ont prétendu qu'elle était une langue morte comme le grec ou le latin. Cela est faux. La preuve en est qu'elle ne cesse de croitre, de s'enrichir continuellement de termes nouveaux tirés de ses propres racines. Son vocabulaire est riche, il recouvre toutes les branches de l'activité littéraire, artisanale, administrative, maritime, agraire, etc. Sa grammaire, inspirée et codifié à partir du Coran, est devenue universelle sur tout le territoire de l'empire Arabe. Elle a été et reste le ciment entre tous les peuples musulmans, quelque soit leur nationalité. Ceux qui la dénigrent sont ceux qui l'ignorent. Ils en ignorent la richesse, la finesse et la beauté. Que dire de l'origine des sciences en Amérique ? Doit-on déterminer les origines et la nationalité de chaque chercheur ?

Enfin on a reproche à la médecine arabe de n'avoir pas fait de progrès depuis le XIIe siècle. Il faut dire que les manuscrits existants n'ont pas été analysés minutieusement. C'est la lecture attentive du manuscrit du damasquin Ibn Nafis, qui a permis à Meyerhoff [2] de découvrir La Petite Circulations. Ahmed Ben Miled lisant attentivement un manuscrit de Mohamed Es-Soquoli [3] a signalé que ce médecin diagnostiquait les lésions tuberculeuses par l'auscultation et classait les symptômes du trachome en quatre stades selon leur apparition, constatations qui n'ont été entrevues en Europe qu'au XIVe et XXe siècles.

La recherche et l’étude minutieuse des manuscrits peut nous donner encore d'agréables surprise ! Ces découvertes n'auraient pas été faites, il est vrai, sans les autopsies. Et si celles-ci n'avaient pas été avouées par leurs auteurs pour des raisons d'ordre social; il n'est pas exact que la religion musulmane est hostile à la dissection du corps humain pour la recherche scientifique [4]. L'absence des autopsies avait été un handicap pour le progrès de l'anatomie, malgré l'existence des hôpitaux chez les Arabes. 

Un autre handicap, non moins sérieux, était la théorie des humeurs qui décidait de la thérapeutique, que les Arabes avaient empruntée aux Anciens et qu'ils ont déléguée aux Européens: ni les uns ni les autres ne lui avaient trouvé de théorie de rechange jusqu'au XXe siècle.

La chirurgie: Sans la connaissance exacte des organes, la chirurgie ne pouvait être entreprise. Seules, l'incision des abcès, la réduction des fractures et les pansements des plaies étaient possibles. Le traité  Ettasrif du médecin andalou Aboul Kacem Ez Zahraoui n'est pas plus éloquent. L'extraction de la pierre de la vessie n'était qu'une illusion. Voici l'opinion de deux chirurgiens français du début du siècle à ce sujet : Velpeau déclarait: est criminel le chirurgien qui ouvre un ventre, et Nelaton promettait une statue d'or à qui vaincrait l'infection postopératoire. La chirurgie n'a pu donner des résultats qu’avec avec l'anesthésie et l'antisepsie pastorienne [5].

La phytothérapie ou le traitement par les plantes: a été la base de la médecine arabe; le nombre de plantes et leurs variétés sont considérables. Ibn Al Baytar [6] cite plus de 3000 plantes dans son livre. On se demande s'il les a récoltées lui-même ou si la plupart lui ont été présentées, et combien d'entre elles étaient utilisables, et si certaines n'avaient pas été citées sous des noms différents sous des noms différents selon le lieu ou le pays où elles se trouvaient. On sait que l'auteur a parcouru l'Andalousie, l'Afrique du Nord, l'Egypte, etc. Ibn Al Jazzar cite aussi dans son livre Itimad plus de 250 noms de plantes. Il est certain qu'il n'en connaissait que certaines espèces, celles qui croissaient en Tunisie et qu'il employait dans sa pratique journalière.

 

IBN AL JAZZAR

Nous ne connaissons la biographie d’Ibn Al Jazzar que par un médecin andalou Ibn Joljol [7], et celui-ci ne la connaissait que par son élève Ibn Bariq, qui s'était rendu à Kairouan pour apprendre la médecine. Les historiens tunisiens ne le citent que comme témoin, à propos de certaines personnalités, ou certains faits. Les écrivains des Tabakates ou classes d'hommes célèbres n'avaient en général de considération que pour les faquihs, les bienfaiteurs et les saints hommes. Les renseignements que nous possédons sur Ibn Al Jazzar sont de deuxième main ; ils sont soit incomplets, soit controversés.

Ibn Joljol, et après lui Ibn Abi Oussaibia  [8] qui l'avait plagié, n'avaient pas mieux fait. De sorte que je ne serai ni affirmatif, ni explicite dans certains cas. La probité intellectuelle l'exige. Ainsi les dates de naissance et de décès sur lesquelles l'accord n'est pas réalisé, seront approximativement indiquées et il est puéril de s'y attarder. Je ne m'attarderais pas non plus sur la secte religieuse de Ibn Al Jazzar qui n'offre qu'un intérêt historique relatif ou un intérêt scientifique nul.

Ahmed Ben Jaafar Ben Brahim Ibn Al Jazzar est né à Kairouan vers 895 et mort vers 979. Il a vécu 84 ans environ. Marié il n'aurait pas laissé d'enfant. Il aurait appris le Coran au kouttab dans sa jeunesse, la grammaire, la théologie, le fiqh et l'histoire à la mosquée Okba Ibn Nafaa. Il avait appris la médecine auprès de son père et de son oncle qui étaient médecins, et d’Ishāq Ibn Suleimān, médecin à Kairouan.

L'existence d'un hôpital à Kairouan n'est pas prouvée. L'enseignement est assuré par les médecins eux-mêmes, chez eux. C'est le cas d’Ibn Al Jazzar. Il le dit lui même dans la conclusion de son livre Zad Al Mussafir ou Le Viatique (ou provisions du voyageur),  il se mettait à la disposition des étudiants à la fin de sa consultation journalière. L'enseignement était oral. Le papier n'existait pas au IXe siècle et les parchemins étaient rares et chers. Enfin, Ibn Al Jazzar disposait d'une bibliothèque assez riche, vingt cinq quintaux à ce qu'il parait. Ce chiffre semble exagéré. Le quintal à l'époque équivalait à 50 kg selon les uns ou 25 kg selon les autres. Ces livres n'étaient pas tous des traités de médecine, mais aussi d'autres disciplines. Ibn Al Jazzar était de caractère calme et silencieux. Il n'assistait pas aux enterrements, ni aux mariages, et ne prenait pas part aux festins. Il avait un grand respect pour sa personne. Il évitait les compromissions, ne fréquentait pas la cour et les personnalités du régime, prenant ainsi exemple sur les fouqaha de l'époque.

C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut concevoir le fait qu'il avait soigné le fils du cadhi Al Nooman et refusé de recevoir en guise d'émoluments un costume et 300 mithkals. C'est aussi par égard pour l'émir qu'il n'avait pas réalisé son désir de visiter l'Andalousie, les rapports entre les deux gouvernements de Mahdia et de Cordoue étaient tendus. C'est également par égard pour l'Emir qu'il n'a pas entrepris son pèlerinage à la Mecque malgré son vif désir de le faire. L'Emir était Chiite et, pour des raisons rituelles et politiques, il avait crée aux pèlerins des entraves, il les obligeait à transiter par Mahdia et verser un péage. Mais il se rendait tous les vendredis à Mahdia auprès de l'oncle de l'Emir El Moez Lidin Allah, auquel il était lié par amitié.

Pendant les grandes chaleurs de l'été, il se rendait à Monastir et habitait dans un ribat avec les preux soldats qui veillaient sur les frontières. Ibn Al Jazzar préparait lui-même les médicaments et les faisait servir par un aide qui se tenait dans le vestibule de la maison, et qui percevait les honoraires de la consultation. Nous ne connaissons pas le montant d'une consultation ou d'une visite à domicile, mais nous savons qu' Ibn Al Jazzar avait laissé à sa mort 4020 dinars or et 25 quintaux de livres. Le dinar aghlabide pesait 4,20 gr.

 

Le Viatique

Ibn Al Jazzar a écrit un certain nombre de livres. Ils traitent de la grammaire, de l’Histoire, de la jurisprudence, de la prosodie, etc. Beaucoup de ces livres cités par différents auteurs sont perdus. Le plus important pour nous actuellement serait Histoire de la dynastie Obeidite. Vu l'indigence de la documentation en la matière, je souhaite que les recherches pour retrouver ce livre soient poursuivies avec ténacité. On a bien découvert au Pakistan il y a quelques années, le livre du Cadhi chiite Al Noomane, il y a des chances qu'on retrouve au Pakistan le livre d'histoire. Mais ce sont les livres de médecine qui nous sont parvenus et ils sont importants. Ce ne sont pas tous des traités comme on peut le penser. Certains seraient de simples feuillets qui traitent du coryza, de la lèpre, etc.

Le plus important des livres d'Ibn Al Jazzar est Zad Al Mussafir (Le Viatique [9]). Traduit en latin, en grec et en hébreux, il a été copié, recopié et imprimé en France et en Italie au XVIe siècle. Il a été adopté et vulgarisé en Europe comme un livre pour l'enseignement classique de la médecine. Ce livre n'est pas une compilation comme le canon d'Avicenne, un mélange de médecine et de philosophie. Avicenne n'était pas un médecin praticien, mais Ibn Al Jazzar l'était et son livre présente une autre facture.

C'est un précis de médecine "de la tête aux pieds", conçu pour l'enseignement clinique. On n'y trouve ni anatomie ni philosophie. Ce sont des leçons écrites après le cours comme le fait remarquer l'auteur dans la conclusion de son livre. On s'en rend compte par les répétitions qu'on y trouve. L'auteur nomme la maladie, énumère les symptômes connus, donne le traitement et indique parfois le pronostic. Il cite souvent en référence des noms d'auteurs étrangers, comme pour donner de l'importance à son sujet, ou par probité intellectuelle pour justifier les emprunts.

Comme Razès le précédait de quelques décades et que Ibn Al Jazzar avait adopté dans la rédaction du Viatique la même facture que El Haoui,  le Continent de Razès mais plus élaborée et plus concise, je me suis demandé s'il n'avait pas eu très tôt ce livre entre les mains. Je ne le pense pas, car dans Le Viatique, il ne sépare pas la rougeole de la variole, ce qui était l'innovation de Razès. Et parmi les médecins auxquels il fait souvent référence, tels Galien, Hypocrate, Dioscoride, Refus, Tridon, Fergorius, Aristote et Ibn Souleymane, il ne cite pas Razès. Je me suis demandé si les livres de ces auteurs avaient existé en Tunisie. N'étions-nous pas en contact permanent avec Rome, Athènes et Byzance par l'importance même de notre économie, et la position de la Tunisie au milieu de la mer Méditerranée ?


Page du manuscrit de Zād El Mussāfir en latin, Bibliothèque de Paris, France


Les Ifriqīyens

C'étaient des citoyens à part entière vers la fin de l'époque romaine; ils avaient donné à Rome un empereur Marc Aurèle. Magon était agronome. Son traité d'agriculture a été traduit à Rome en vingt huit livres. Il traitait de l'agriculture, de l'élevage et de l'administration rurale. Tertullien, mort en 240, était instruit dans les langues grecques, latine et en médecine. Apulée de Madaure, herboriste au IIIe siècle a étudié le latin et le grec à Carthage, avait écrit un traité de botanique appelé Herborium. Ce livre est perdu. Saint Cyprien né à Carthage et Saint Augustin né à Ghardimaou avaient été maîtres de l'Eglise chrétienne avant l'islam.

Les armées romaines avaient leurs médecins. Les armées ifriqīyennes devaient avoir également les leurs. Les traces de la médecine grecque ne devaient pas disparaître sous l'occupation byzantine, mais aucun texte ne signale à ma connaissance que les armées arabes avaient des médecins. Les rudiments de médecine du père et de l'oncle d’Ibn Al Jazzar des Moutabibounnes dont parlent Ibn Naji et Al Maliki  dans leur Tabakates seraient-ils les restes de la médecine grecque ?  Aucun travail n'a été fait dans ce sens. L'entrée de la médecine arabe en Tunisie semble, d'après Ibn Abi Oussaibia, tardive. Ce dernier lui assigne pour date l'arrivée d’Ishāq Ibn Omrane, mort en 882 à Kairouan pendant le règne d’Ibrahim Ibn Al Aghlab II qui l'avait appelé de Bagdad.

C'est Ishāq Ibn Omrane qui aurait introduit le premier la philosophie et la médecine à Kairouan. Ce n'est pas mon avis. C'est plutôt Youhana le premier qui aurait introduit la médecine arabe à Kairouan. Les sources nous le donnent arrivé à Kairouan dans le même convoi que le grammairien et philosophe arabe Ayed Bou Aouana appelé par l'Emir Yazid Ibn Hatem Al Mouhalabi en 771 pour instruire ses fils. Ce Youhana est cité par Ibn Al Jazzar dans Zad Al Mussafir en plusieurs endroits.

Est-ce Youhana Ibn Massaouia appelé Jean, à qui les sciences arabes doivent une trentaine de traductions de livres latins et syriaques en arabe et qui aurait présidé Beit-al-Hikma à  Baghdad et qui serait né [10] en 777 et mort à la nouvelle Baghdad ? Les sources que nous avons entre les mains Ibn Abi Oussaibia et Leclerc ne signalent que celui-là seul dans leurs livres. Est-il venu a Kairouan et retourné à Baghdad ou un autre Youhana de sa famille ? Je ne saurai l'affirmer. Les recherches continuent.

Un deuxième livre d'Ibn Al Jazzar d'une certaine importance Tibb Al Fouquara, la médecine des pauvres. C'est un abrégé du Viatique dont il épouse la facture. Il n'est pas le premier en son genre. Razès a consacré un chapitre à ce sujet dans le Continent. 

Kitab Al ltimad ou Le Livre sur Lequel on s'Appuie est une compilation de 250 simples environ et l'auteur serait incapable de les reconnaître toutes aujourd'hui, si jamais il les a connues toutes de son temps. 

Tibb Assibiane ou Médecine infantile a reçu sa consécration dans une étude détaillée par El Hila (Tunis 1958).

Le livre de Gérontologie non mentionné par Abi Oussaibia, mais par H. H. Abdelwahhāb, serait un chapitre extrait d'un autre ouvrage de l'auteur: Kitab Al Odda qui se compose de deux chapitres, le premier (14 feuillets), traite de la santé et le deuxième (37 feuillets) traite des moyens pour assurer une longue vie. C'est un livre homogène. Kitab Al Odda est signalé par Abi Oussaibia. H. H. Abdelwahhāb l'avait trouvé chez Ahmed Kheiri Bey au Caire.

Le Livre sur l'Estomac.

Enfin, je cite pour mémoire des feuillets sur 1) Les parfums, 2) Les pierres précieuses, 3) Les bougies et sur 4) L'encre, insérés à la suite du manuscrit de La Médecine des Pauvres de la bibliothèque de Bursa, Turquie.

D'autre part à Salerne il y avait des médecins mais pas d'école de médecine. Beaucoup de tunisiens y habitaient et avaient fondé des comptoirs commerciaux sur la côte méridionale de l'Italie. Bien que les travaux de Constantin n'étaient pas sans reproches, ils étaient très appréciables eu égard a la pauvreté scientifique de l'Europe au Moyen Age. De Salerne, l'enseignement de la médecine arabe s'était étendu à Montpellier où il s'enrichira par l'apport des émigrants andalous, établis dans le Languedoc à Lunel. Cet enseignement a fait tache d'huile et s'est étendu dans route l'Europe. Témoin le nombre des manuscrits ou imprimés de médecine arabe, traduits en latin en grec et en hébreu qui se trouvent, dans les grandes bibliothèques européennes.

Tels quels, sans détails inutiles, Ibn Al Jazzar, l'homme, le médecin, l'œuvre, et le rayonnement de l'œuvre. Il nous offre un exemple. L'Ifriqiya, la Tunisie en l'espèce, qui occupe le centre de la Méditerranée a profité des civilisations phéniciennes, gréco-romaine et arabe. Elle en a profité et a fait profiter à son tour l'Europe pendant les siècles obscurs du Moyen Age. La science a favorisé aujourd'hui les pays industrialisés, tandis que nous avons piétiné sur place. Nous avons rattrapé le retard. Nous en avons les moyens, nous en avons la capacité.


Notes:

[1] Razès, né en Perse a étudié à Djendisabour, installé à Baghdad où il a dirigé un hôpital et enseigné la médecine. Mort en 932.

[2] Meyerhoff, médecin français qui a accompagné Napoléon en Egypte. Il s’y est installé après le départ de Napoléon. Il enseigne la médecine au Caire et fait des travaux sur la médecine arabe.

[3] Mohamed Es-Soquoli, médecin tunisien du XVe siècle, mort vers 1475. Il aurait été médecin de l’hôpital Hafside, voir La médecine arabe en Tunisie pendant dix siècles, Dr. Ahmed Ben Miled, Tunis 1981.

[4] Consultation Juridique ou Fatoua.

[5] Les hommes en blanc, Tome 2 d'André Soubiran, Toulouse 1949.

[6] Ibn Baytar, herboriste andalou, mort en 1248 à Damas.

[7] Ibn Joljol, mort en 372 de l'hégire, médecin andalou.

[8] Ibn Abi Oussaibia, médecin, né à Damas, mort en 668 de l'hégire.

[9] Voir M. Talbi, Ref 7.

[10] D'après Leclerc qui n'est pas sûr de cette date alors que Oussaibia ne cite ni la date de sa naissance ni celle de sa mort.




CONSTANTIN L'AFRICAIN

On ne peut parler d’Ibn Al Jazzar sans parler du traducteur de ses livres, Constantin l'Africain. Ce nom propre évoque un chrétien d'origine berbère. Son premier biographe, l'abbé Diaconus Petrus du XIIe siècle dit que Constantin était d'origine Sarrasine, et Karl Sudhoff, ajoute qu'il était de religion mahométane. Au XIe siècle Carthage n'existait plus. La capitale de la Tunisie était tantôt Kairouan tantôt Mahdia. Lors de son premier voyage à Salerne, Constantin était commerçant, il était accompagnée par Abbas de Curia (Curiat est un ilot en face de Mahdia) pour lui servir d’interprète car il ne connaissait pas le latin. 

La première partie de sa vie s'est déroulée en Tunisie et l'autre en Italie ou il a écrit son œuvre. Celle-ci est vaste. Elle comprend particulièrement des traductions. Il a traduit en latin les livres des grands maitres de la médecine arabe de l'époque : Razès, Ali Ibn Massaouia de Baghdad, Ibn Imran, lbn Souleymane, et Ibn Al Jazzar de Kairouan, etc. Ces traductions existent de nos jours dans les grandes bibliothèques européennes : en Italie, en Allemagne, en France, en Belgique, en Angleterre, etc. Elles ont servi comme manuels scolaires au moyen-âge et jusqu'au XVIIe siècle.

Constantin avait parait-il rédigé de son cru des livres. Il en a plagié d'autres et brouillé les sources. On lui avait attribué la création de l'Ecole médicale de Salerne [1] sinon sa renommée par la littérature médicale qu'il lui avait fournie et qui avait rayonné dans toute l’Europe où on avait cru que la science grecque revenait par Salerne.

Remarquez que les traductions de la science arabe faites par Gérard de Crémone ne datent que du XIIème siècle. L'Italie devançait ainsi la France d'un siècle. Le nombre de livres que Constantin aurait écrits, traduits, plagiés ou qu'on lui aurait attribués alors qu'il n'avait ni écrit ni traduit, atteint le chiffre trente six. En voici quelques uns: 1) Les traités du Pouls, Des fièvres et Des urines de Ishāq Ibn-Souleymane, 2) Le Livre de la Mélancolie d'Ibn Imran, 3) El Haoui de Razès, 4) le Kamel de Ali Ibn Al Abbas, 5) le Viatique de Ibn Al Jazzar, etc. Je vous fait grâce du reste. 

On l'avait accusé de plagiat. Il n'avait pas plagié simplement des phrases ou des passages de livres, mais il s'était attribué la paternité de livres entiers. Tenez, voici ce qu'il avait écrit dans l'introduction du Viatique pour éloigner le doute dans l'esprit du lecteur: 

« Que si d'aucuns portent sur mon ouvrage leurs dents canines, je les enverrais sommeiller au milieu de leurs niaiseries. J'ai cru devoir signer cet écrit, parce que les hommes jaloux du travail d'autrui, quand un ouvrage étranger leur tombe entre les mains, se l'approprient frauduleusement. Je l'ai appelé Viatique parce que son petit volume fait qu'il n'est pas embarrassant ni gênant pour un voyageur ».

Faut-il croire que Constantin, mercator (commerçant) avant d'être médecin, manquait de scrupules, et pour faire accepter sa marchandise, devait-il mentir si effrontément ? C'est possible. C'est pour cette raison que certains auteurs lui avaient accordé des circonstances atténuantes. Les uns ont soutenu que c'est sur les conseils de l'Abbé Didier son supérieur du Mont Cassin qu'il avait menti. C'est encore possible. En effet au siècle où le fanatisme religieux d'un côté et le colonialisme arabe régnant en Sicile et puissamment secondé par la piraterie barbaresque de l'autre côté, pouvait-on concevoir qu'un chrétien acceptait avec confiance un médicament ou une drogue conseillé par un médecin arabe ? Quel intérêt aussi un chef de l'église avait-il pour cautionner une denrée arabe ? Logiquement aucun.

Voyons les faits. Dés le IXe siècle les arabes partis de l’Ifriqiya (la Tunisie) avaient ravagé les côtes de la Sicile et de l'Italie méridionale. Ils ramenaient du butin et des prisonniers hommes et femmes pour les vendre comme esclaves. Ils avaient même dévasté en 1020 le Saint-Siège. Ils avaient conquis la Sicile, l'avaient colonisée et islamisée au prix d'une guerre qui avait duré trois quarts de siècle. Antérieurement les arabes Venus d'Arabie et secondé par les tribus Nord-Africaines avaient occupé l’Andalousie, dépouillé ses riches églises et l'avaient colonisée et islamisée. On peut dire que pendant plus d'un siècle le monde arabe était constamment contre la chrétienté. Les hommes de l'Eglise âme et cerveaux pensants de l'Europe durant tout le Moyen Age ne pouvait pas patronner une littérature, fusse-t-elle médicale, œuvre de leurs ennemis. Les hommes du peuple eux aussi ne pouvaient pas ignorer et se souvenir des exploits des corsaires sur leur sol. 

A lsola del Giglio, petite île au large de Porto Santo Stefano en Toscane on trouve semble-t-il encore aujourd'hui une dalle sur une place publique avec cette inscription : 

« Ici les barbaresques ont débarqué et emporté nos filles ». 

Ainsi donc, pour faire accepter sa marchandise par un public qui par nature lui était hostile, Constantin en ex-commerçant averti, lui avait enlevé l’étiquette arabe compromettante. Il devait rejoindre par la même les recommandations de l'Abbé Didier si toutefois celles-ci lui avaient été prodiguées. Malheureusement pour lui comme il arrive à tous plagiaires, le vol est découvert. Il est blâmable même s'il l'avait fait dans une intention louable. Ceci dit, examinons de plus prés la qualité de ses œuvres, car il y a des accusations portées contre lui qui n'étaient pas valables. Je ne saurais mieux le faire qu'en donnant la parole Monsieur Boubaker Ben Yahya qui a entrepris en 1953 des recherches minutieuses ce sujet [2]. Voici en partie ce qu'il a écrit:

« Divers travaux ont permis de constater que la presque totalité de l'œuvre d'abord attribuée à Constantin, n'est pas son œuvre personnelle. Mais a t-il été un traducteur ? Voici résumées les conclusions auxquelles je suis arrivé en étudiant le Livre de la Mélancolie de Ishāq Ibn Imran et la traduction latine qu'en a faite Constantin: une étude sommaire permet de constater que les deux ouvrages suivent le même plan, développent les mêmes idées et définissent d'une manière identique les mêmes concepts. Mais Constantin s'est-il contenté d'être un traducteur fidèle ? Une étude plus approfondie des ouvrages permet de dire non. Constantin a tout simplement supprimé toutes les parties du texte qui pouvaient faire soupçonner l’origine arabe de l'ouvrage. Chaque fois que les médecins arabes font état de leurs travaux, du résultat de leur expérience personnelle, Constantin a employé dans sa traduction la forme impersonnelle. Ceci confirme le point de vue de ceux qui pensent que Constantin n'a jamais pratiqué la médecine. Constantin a t-il composé personnellement quelques-unes de ces œuvres ? Je crois qu'on n'est pas loin du jour où l'on pourra affirmer que Constantin n'a écrit aucune œuvre personnelle. A t-il cherché sciemment à taire le nom des auteurs arabes qu'il a traduit ? Je répondrai par l'affirmative. Il a supprimé toute référence se rapportant un auteur arabe et même, comme s'il voulait donner le change, il a mis en avant des noms de médecins grecs ».

Ce travail n'est pas définitif car il ne concerne pas toute l'œuvre de Constantin et mérite d'être poursuivi. Il n'a intéressé que les livres Le Viatique, La Mélancolie et Al Kamel. Je souhaite que Monsieur Ben Yahya ne s'arrête pas en si bon chemin. Reste à élucider la biographie de Constantin, elle aussi très controversée. 

Voici mon travail personnel: Constantin avait passé la première partie de sa vie à Carthage, plutôt à Tunis car cette époque la ville romaine était en ruines et vidée de ses habitants. Elle avait été remplacée par Tunis devenue un centre commercial et intellectuel à l’exemple de Kairouan. Il est à remarquer qu'aucun livre arabe ancien ne mentionne Constantin, tout ce que nous savons sur lui provient des archives italiennes. Il est complètement ignoré des historiens, des chroniqueurs et des biographes arabes. Tout d'abord originaire de Tunis, versé dans la langue arabe, Constantin était-il chrétien ou musulman ? Ici les opinions sont partagées et il importe de rechercher la vérité. Pour Hassan Hosni Abdelwahhāb, historien tunisien éminent, mort en 1968, Constantin était chrétien. Il fonde son opinion sur l'existence de colonies chrétiennes à Carthage et Kairouan et qui s'étaient maintenues jusqu'au XIIe siècle [3].

Il est exact que l'existence de plusieurs colonies chrétiennes sur le sol tunisien sont attestée par des documents historiques irréfutables, La tolérance des conquérants arabes aurait laissé subsister dans toute l'Afrique depuis l'isthme de Suez jusqu'au détroit de Gibraltar 145 évêchés dont quarante suffrageants de Carthage. Chose à noter, Carthage y figure parmi les dix métropoles dépendant du siège patriarcal d'Alexandrie [4]. L'explication de cette dépendance serait qu'au début de l'occupation arabe les gouverneurs de l’Ifriqiya étaient sous l’autorité directe du gouverneur d'Egypte et l'Eglise de Tunisie avait probablement à son corps défendant suivi l'exemple du pouvoir local. Les collectivités chrétiennes avaient vécu en paix à l'ombre des trois premiers gouvernements islamiques, c'est à dire jusqu'à la fin du XIIe siècle. Monsieur Hassan Hosni Abdelwahhāb a émis ici une hypothèse et rien de plus.

Deux historiens français Lapeyre et Pellegrin qui ont vécu longtemps en Tunisie nous donnent les renseignements suivants sans mentionner leurs références bibliographiques [5]: 

« Un savant moine du Mont Cassin, Constantin l'Africain, naquit à Carthage en 1015, reçut dans cette ville et à Tunis, une double culture latine et arabe, fut quelque temps secrétaire de Robert Guiscard en Sicile, puis prit l'habit au Mont Cassin et y rédigea une savante compilation dont il emprunta les éléments à des traductions qu'il fit de traités écrits par des savants Kairouanais ».

Monsieur André Idriss, ancien professeur au Lycée de Tunis est l'auteur d'un livre sur l'histoire de la Tunisie [6]. Il est dit dans ce livre page 758: 

« Sous Benoit VII (974 - 938) la chrétienté de Carthage choisit un prêtre nommé Jacques et l'envoya à Rome pour y être consacré évêque, et les lettres de Léon IX et de Grégoire XII attestent la survivance de cette communauté jusqu'à la fin du XIe siècle. Constantin l'Africain est l'un de ses enfants ». 

Plus loin, page 810, Monsieur Idriss revient à la charge et écrit : 

« Constantin l'Africain mort au Mont Cassin en 1087 est né à Carthage (1015 - 1016). Après un long périple à travers l'orient ce marchand et médecin converti au christianisme serait revenu à Carthage d'où il gagna Salerne, emportant avec lui quantité de manuscrits arabes. Il passe pour le fondateur de la fameuse Ecole de Salerne. Il entre ensuite au Monastère du Mont Cassin dont il devient l'Abbé ». 

Contradiction flagrante : Constantin chrétien page 758 et musulman page 810. Monsieur Idriss ne nous a pas livré ses sources non plus. Il appartient donc aux historiens de l'Eglise de confirmer ou d'infirmer les assertions de Messieurs Idriss et Pellegrin, Une réponse positive mettrait fin aux discussions et calmerait les passions. En somme tout ce groupe d'historiens ne nous livre sur la biographie de Constantin que des renseignements imprécis et contradictoires. 

Voyons maintenant les partisans de Constantin musulman. Le premier biographe de Constantin est le moine Pierre Diacre (Petrus Diaconus), auprès duquel se sont renseignés tous les modernes : De Renzi, Daremberg, Westenfeld, Leclerc… nous le donne comme mahométan. 


Abbaye de Monte Cassino où Constantin a traduit le "Viatique"


Dans un travail sérieux, Karl Sudhoff un éminent orientaliste allemand et on sait combien les allemands sont spécialistes dans l'histoire de la médecine, a jeté une lumière nouvelle sur Constantin. Utilisant des archives trouvées à la Trinita Della Cava où Constantin était nommé Constantinus Sicilus il ressort que [7]:

« Constantin originaire de Carthage s'est rendu à Salerne comme mercator ou commerçant. Là, malade il aurait consulté un médecin le frère du prince Gisulfe avec lequel il était en relation mais il fallait un interprète car Constantin ne parlait pas l'italien. On fit appel à Abbas de Curia lui-même médecin. Au cours de cette consultation Constantin a assisté à l'examen de ses urines et il a demandé si on possédait à Salerne suffisamment de littérature médicale. La réponse a été négative. On utilisait simplement des connaissances acquises par la pratique. C'est alors que ce grand voyageur, cet homme qui jouit d'une vaste culture aurait eu l'idée de sa mission civilisatrice. Il revint à Carthage. Il était encore Sarrasin même de religion. Là, il se serait remis à s’occuper de médecine pendant trois ans. Il aurait réuni de nombreux traités de médecine arabe (multos accipiens libros), il se serait embarqué avec ce trésor vers l'Italie méridionale vraisemblablement vers Salerne même. En longeant la côte de Lucanie au nord du golfe de Policastro, il aurait essuyé une tempête, des manuscrits furent endommagés et il perdit précisément la fin des Pratica pantegni d'Ali Ibn Al Abbas à partir du quatrième livre. Avec le reste de ces manuscrits il serait heureusement arrivé à Salerne. Il se serait converti au christianisme et serait rentré au couvent de Monte-Cassino où il aurait entrepris son travail de traducteur ». 

La personnalité de Karl Sudhoff et le caractère minutieux de ses recherches nous invite à analyser le paragraphe précédant:

1) Constantin s'était rendu à Salerne comme commençant. Une question se pose: existait-il à l'époque des échanges commerciaux entre l'Italie et la Tunisie ? Certainement oui. La religion musulmane ne défendait pas à ses adeptes de faire du commerce avec les non musulmans quelque soit leur religion. Des marchands africains étaient installés en Sicile chrétienne et en Italie méridionale à Bari, à Tarente, à Agripoli, à Gagliano dans des comptoirs fortifiés où ils se livraient au commerce. Même pendant la guerre, les commerçants ne chômaient pas. La Tunisie expédiait de l'huile d'olive, de la cire, des cuirs et des lainages. Elle recevait de la Sicile et de l'Italie du blé pendant les années de mauvaise récolte. Jamais les religions n'ont constitué d'obstacles pour le commerçants.

2) Constantin était arrivé à Salerne la première fois par la Sicile. C'est la voie habituelle. De Kélibia, village à la pointe du Cap Bon au nord de la Tunisie, on aborde à Mazara en Sicile avec un voilier, en moins de douze heures par vent favorable. La Sicile a été de tout temps le trait d'union entre l'Afrique et l'Europe [8].

3) Constantin malade a montré au cours de la consultation des connaissances en médecine. Rien d'étonnant. L’instruction dans les universités arabes en Tunisie et jusqu'à une date récente était encyclopédique. Les professeurs de Jamma Al Zitouna à Tunis, de Jamma Okba et Beit Al-Hikma à Kairouan enseignaient: Al Mankoul, les matières d'érudition: le fiqh, la grammaire, l'histoire, etc., et Al Maakoul, les sciences du raisonnement: les mathématiques, l'astronomie, la médecine, etc. Les élèves suivaient en général les deux enseignements: Al Mankoul et Al Maakoul. L'enseignement était gratuit et ouvert à tous. Il était habité qu'un grand commerçant appartienne à cette classe des gens cultivés. Constantin semble être de ceux-là. Il ne devait pas connaitre la langue italienne ou le latin aussi fit-on appel un interprète Abbas de Curia lui-même médecin. Cet Abas de Curia est tunisien. C’est sûr. Abbas est un prénom arabe très courant en Tunisie. L'oncle du prophète s'appelait Abbas. Curiat est une petite île du littoral tunisien en face de Mahdia dont elle est séparée de quelques centaines de mètres. Abbas est originaire de l'île de Curiat. Les personnalités arabes sont souvent connues par leur origine. Abbas est médecin A Salerne. Qu’y a t-il d'extraordinaire qu'un tunisien né ou émigré en Sicile, ou installé à Salerne ait accompagné Constantin à titre d'interprète ?

4) Les traités de médecine emportés par Constantin étaient des œuvres de médecins Kairouanais ou de Baghdad. Toutes ces œuvres étaient connues et utilisés à Kairouan. Enfin, Constantin s'était converti au christianisme. Il n'y a rien d'étonnant non plus. Les conversions à la religion des vainqueurs, musulmans ou chrétiens étaient très fréquentes à l'époque et même plus tard. Les occupations de la Sicile et de l'Andalousie offrent un exemple éclatant. Hassan Ben Mohamed Al Ouazzani capturé par les corsaires italiens vers 1518, offert comme présent au Pape Léon X, a été baptisé en 1520. Il était devenu Léon l'Africain, le célèbre auteur du livre La Description de l'Afrique. Ainsi la conclusion qu'on peut déduire des recherches de Karl Sudhof est plus près de la réalité que l'hypothèse gratuite de Hassan Hosni Abdelwahhāb et les affirmations non appuyées par des références bibliographiques de Messieurs Pellegrin, Lapeyre et Idriss.

5) Enfin une légende: Dans son introduction des œuvres complètes d'Ambroise Paré voici ce qu'écrit le docteur Malgaine: 

« Constantin né à Carthage et épris d'un ardent désir de s'instruire dans routes les sciences il s'en alla en Babylonie, apprit la grammaire, la dialectique, la physique (médecine), la géométrie, l'arithmétique, les mathématiques, l'astronomie, la nécromancie et la musique. Après avoir épuise routes les sciences des Chaldéens, des Arabes et des Persans il alla aux Indes, interrogea les savants de ce pays, revint par l'Egypte ou il termina ses longues études; et après quarante années de voyages et de travaux, il revint dans sa ville natale. Mais, des connaissances si rares et si nombreuses durent effrayer ses compatriotes, ils le prirent pour un sorcier et résolurent de s'en défaire. Constantin instruit à temps, pris la fuite et se dirigea vers Salerne où il demeura pendant quelques temps caché, sous l'habit d'un mendiant. Le frère du roi de Babylone ayant passe par cette ville, le reconnut et le découvrit au fameux Robert Guiscard qui en fit son premier secrétaire. Mais plus soucieux de repos que d'honneurs il quitta la cour et se retira au Mont-Cassin où il passa le reste de sa vie à traduire de l'arabe en latin divers ouvrages de médecine ou à compiler lui-même ». 

Cette légende reproduite depuis Pierre Diacre, dans tous les livres sur Constantin, avec ou sans réserve, doit être abandonnée à jamais. C'est un conte des milles et une nuit auquel il manque l’héroïne: la fille du prince. Malheureusement pour Constantin, pris de chagrin entre au couvent et prend l'habit.


Tel est à ma connaissance l'état des travaux sur Constantin. Il y a encore comme vous le voyez des recherches à faire et des précisions à apporter sur l'homme et son œuvre. Tous les savants qui se sont penches sur cette œuvre estiment qu'elle est considérable. Que les livres qu'il avait écrit avaient été imprimés au XVe et XVIe siècles à Lyon et Turin et adoptés par les universités Européennes. Comme Daremberg, on peut considérer Constantin comme l'un des précurseurs de la Renaissance et comme lui nous souhaitons qu'un congrès de savants et d'érudits venus de tous les points de l'Europe, j'ajoute et du monde Arabe, viennent un jour élever une statue à Constantin au Centre du Golfe de Salerne ou sur la crête du Mont-Cassin, et j'ajoute avec Monsieur Boubaker Ben Yahya, à Carthage également.


Notes:

[1] Salerne est un village maritime sur la côte occidentale de l'Italie du Sud en face la Sicile et près de Naples. Il occupe le versant ouest d'une colline er débouche sur le golfe du même nom. C'est un port commercial ou un tunisien Souleymane le Salernitain tenait un comptoir. L’historien Halpern atteste que les relations commerciales que cet arabe entretenait avec les bateaux génois étaient très développées du temps où 1'école de Salerne avait acquis une renommée qui devait durer tout le moyen âge. Occupée par les Normands au XIe siècle c'est leur chef Robert Giscard qui avait accueilli Constantin l'Africain.

[2] Boubaker Ben Yahya, Chef de Recherches au Centre National de Recherche Scientifique à Tunis, Les origines arabes de Mélancholia de Constantin, Revue des Sciences 1953 ; Constantin l'Africain et l'Ecole de Salerne, Les cahiers de Tunisie 1935.

[3] Hassan Hosni Abdelwahhāb, Les feuillets, Tunis 1965, Tome 1, page 29. Lettre manuscrite.

[4] I. Menage, Une page d'histoire de l’Eglise d'Afrique, Alger 1903.

[5] Lapeyre et Pellegrin, Carthage latine et chrétienne, Payot Paris 1950. Pellegrin,  Histoire de Tunis 1955.

[6] Idriss, La Berbérie orientale sous les Zirides, Tome 2, Paris.

[7] Karl Sudhof, Constantin, revue Archéon, Volume 14, n° 3, 1932.

[8] Mohamed Talbi, L'émirat Aghlabide, Paris 1966, page 513 et suivantes.

 





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